Revue de presse

La ligne Valls et les polices municipales

La ligne Valls

LE MONDE | 26.08.2013 à 10h07 • Mis à jour le 26.08.2013 à 15h51 | Par Raphaëlle Bacqué

Lors de son intervention à l'université d'été du Parti socialiste, le 24 août, à La Rochelle.

Manuel Valls marche sur une ligne de crête. Ministre le plus populaire d’un gouvernement socialiste. Accusé par Jean-Luc Mélenchon d’être « contaminé par les idées de Mme Le Pen »… Rien qu’à voir son maintien un peu raide, dans son bureau de ministre de l’intérieur où il a accroché un portrait de Clemenceau comme l’avait fait quinze ans avant lui Jean-Pierre Chevènement, on mesure les efforts pour tenir l’équilibre. « Mais si François Hollande m’a nommé là, lâche-t-il, c’est parce qu’il savait que j’avais sur les questions de sécurité, d’immigration et de laïcité une forme de cohérence. »

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Il a, en tout cas, sur ces sujets une histoire. Une maturation des idées et une expérience des banlieues qui s’accordent, au fond, avec celles de bon nombre d’élus socialistes des vingt dernières années et lui avaient valu un triomphe, en 2012, aux universités d’été de La Rochelle. Il a aussi une réputation, entretenue à coup de déclarations transgressives sur les trente-cinq heures, les polices municipales ou les immigrés. Celle d’un « droitier », d’un « sarkozyste de gauche », comme le murmurent certains militants PS qui, agacés par la révélation de son conflit avec la ministre de la justice, Christiane Taubira, autour du projet de loi accompagnant la suppression des peines planchers ou par ses interrogations sur le regroupement familial, ont sifflé cette fois son intervention.

« Il est plus nuancé qu’on ne le dit, assure Julien Dray, mais il se laisse parfois emporter par l’ivresse de la communication et le goût de la notoriété. » La « ligne Valls » se lit cependant autant dans son caractère que dans son parcours. Et il faut replonger dans ces villes de banlieue de la fin des années 1980, dans ces débats menés par la gauche, pour mesurer à la fois ce qui fait sa popularité et les interrogations qu’il suscite.

DU CHARME PARISIEN AU VAL-D’OISE

Il faut donc imaginer son arrivée, en 1988, à Argenteuil, dans le Val-d’Oise. La ville est à dix minutes de la gare Saint-Lazare. Mais c’est déjà un autre monde. Dominée depuis des décennies par le Parti communiste, la cité compte alors 90 000 habitants, abrite la plus grande mosquée d’Europe, de vastes zones pavillonnaires, de grands ensembles, un quartier de tours et une dalle déjà réputée pour ses trafics de drogue. Le jeune homme, qui a choisi d’y emménager, n’a connu jusque-là que le charme parisien du quai de l’Hôtel-de-Ville, dans le quartier du Marais, où son père, un peintre espagnol fuyant l’Espagne franquiste, en 1949, a installé la famille. Ni ses années de syndicalisme étudiant à l’UNEF-ID, ni l’initiation maçonnique au sein de la loge Ni maître ni Dieu du Grand Orient de France, ni même ses missions à Matignon auprès du premier ministre, Michel Rocard, ne l’ont préparé au choc. Lors de ses premières années au PS, Valls et ses deux meilleurs amis, Stéphane Fouks et Alain Bauer, s’amusaient pourtant : « Nous sommes des rocardiens tendance prussiens ! » Autant dire bien plus organisés que ces militants venus avec Rocard du PSU, « cette gauche ploum-ploum », comme ils disaient alors pour ne pas la qualifier de naïve.

« A Argenteuil, j’ai découvert la violence, raconte-t-il, et la présence du Front national. J’y ai appris au moins une chose : les précautions langagières et les belles manières factices sont simplement insultantes quand on a en charge des populations en danger. » Il est loin d’être le seul à faire cette expérience au PS. Une génération d’élus se frotte à la ghettoïsation des cités, à la délinquance, aux discussions tumultueuses sur la laïcité et le port du voile à l’école.

SUR LA LIGNE DE CRÊTE

Fondateur de SOS-Racisme, Julien Dray est l’un des premiers au sein du PS à écrire sur le phénomène des bandes. Dans son sillage, Bruno Leroux, Daniel Vaillant, Delphine Batho et d’autres ont commencé à plaider pour que la sécurité vienne au premier plan des préoccupations du PS. « Lorsque j’étais à la tête du mouvement lycéen, en 1990, nous avions été confrontés à une nouvelle forme de violence dans les manifestations, se souvient Delphine Batho. Un débat traversait alors la gauche : Etait-ce une nouvelle forme de contestation sociale ou une régression ? La lutte contre cette violence est devenue l’un des coeurs de notre combat en faveur des classes populaires. »

Manuel Valls, qui rejoint en 1997 l’équipe de communication du premier ministre Lionel Jospin, voit le chef du gouvernement, qui a lancé les assises de Villepinte sur la sécurité, dès octobre 1997, être pris en tenaille entre une jeunesse qui l’accuse d’être abandonnée face à la police et une population qui réclame plus de fermeté.

A Argenteuil, le jeune adjoint au maire chargé des affaires sociales grimpe déjà sur cette ligne de crête. « C’est là, dit-il, que j’ai eu mes premiers affrontements avec le PCF autour de la question du peuplement et de l’équilibre entre les différentes populations dans les quartiers – je parle de différences sociales et pas seulement de différences ethniques. » Ses biographes Jacques Hennen et Gilles Verdez (Manuel Valls, les secrets d’un destin, Ed. du Moment, 280 p., 19,95 €) rapportent ainsi qu’il s’oppose à la transformation en logements sociaux d’une belle propriété bourgeoise entourée d’un vaste parc, située au cœur d’Argenteuil, que vend alors Claude Labbé, le président du groupe RPR à l’Assemblée nationale. « Trop de social tue le social« , osera-t-il pour justifier sa volonté de limiter la construction d’habitations à loyers modérés afin de ne pas créer d’îlots de pauvreté.

C’est à Evry, où il est parachuté un an avant les municipales de 2001, qu’il va mettre en œuvre sa politique. Cette ville de l’Essonne est un assemblage de communautés – sa cathédrale, sa grande mosquée, son imposante pagode –, et un concentré des catastrophes architecturales des années 1960. Manuel Valls y mène une campagne axée tout autant sur la promotion et l’intégration des jeunes que sur la sécurité. « Aucun recoin de la ville ne doit être laissé aux voyous », répète-t-il.

LA SÉCURITÉ : « LE NID QUE D’AUTRES ONT CONSTRUIT »

L’élimination de Lionel Jospin par Jean-Marie Le Pen dès le premier tour de l’élection présidentielle, le 21 avril 2002, oblige la gauche à aller plus loin sur le mal-être des classes populaires qui l’ont abandonnée. La sécurité devient un des traits les plus visibles de Valls. « Il s’est installé sur le nid que d’autres ont construit », constate Julien Dray. Mais il le clame plus haut et peut-être plus fort que d’autres au PS. A la grande satisfaction du nouveau ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy.

Deux mois après son élection, le maire d’Evry crée une direction de la sécurité et de la prévention regroupant une police municipale, un service de médiation et un service d’aide aux victimes. Il se prononce aussi pour le port d’armes des policiers municipaux et la vidéosurveillance dont son ami Alain Bauer, à la tête d’une entreprise de conseil en ingénierie sécuritaire, est devenu le promoteur. Dès 2003, le gigantesque centre commercial d’Evry 2 est équipé de dizaines de caméras robotisées.

La montée des revendications communautaires est plus sensible. Manuel Valls s’élève contre l’ouverture dans sa ville d’un Franprix exclusivement hallal. Mais il s’oppose à une loi interdisant le port du voile à l’école : « Interdire par la loi le port d’insignes religieux – et ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, il s’agit essentiellement de signes islamiques –, c’est faire du foulard un symbole, écrit-il dans Le Monde, le 18 juin 2003. Cette intransigeance ne fait qu’accentuer la séparation entre les musulmans de France et le reste de la population et pousserait un certain nombre d’entre eux à élever leurs enfants dans des écoles communautaires. » Bientôt, il proposera une modification de la loi de 1905 afin de permettre l’investissement public dans la construction de mosquées.

Souvent à contre-courant dans son parti, cet adepte des sondages suit déjà la progression de sa notoriété. En 2005, lors des émeutes de banlieue, il est le seul élu de gauche à ne pas condamner l’instauration d’un couvre-feu, et se fait à nouveau remarquer. Suffisamment pour qu’élu président Nicolas Sarkozy lui propose d’entrer au gouvernement. C’est non. Mais le soupçon s’installe.

« ÇA MANQUE DE BLANCS, DE WHITE, DE BLANCOS »

En 2008, il publie avec Claude Askolovitch un livre d’entretien intitulé Pour en finir avec le vieux socialisme… et être enfin de gauche (Robert Laffont). Il s’y prononce pour l’instauration de quotas d’immigrés. Aux adeptes de la gauche de Jaurès, il oppose celle de Clemenceau, dont il a lu la biographie de Michel Winock. Il en connaît par cœur une réplique : « Sans doute, vous me dominez de toute la hauteur de vos conceptions socialistes. Vous avez le pouvoir d’évoquer de votre baguette magique des palais de féerie. Moi, je suis le modeste ouvrier des cathédrales, qui apporte obscurément sa pierre à l’édifice auguste qu’il ne verra jamais. Au premier souffle de la réalité, le palais de féerie s’envole, tandis qu’un jour la cathédrale républicaine lancera sa flèche dans les cieux. »

Le 7 juin 2009, un reportage sur Direct 8 présenté par Valérie Trierweiler, la compagne de François Hollande, le montre arpentant une brocante à Evry. « Ça manque de Blancs, de White, de Blancos », chuchote-t-il à son conseiller Christian Gravel, aujourd’hui chargé de presse du président de la République. Le PS est secoué. Il le sera encore lorsqu’il vote en 2010, avec de rares parlementaires de gauche, dont Robert Badinter, le projet de loi d’interdiction de la burqa déposé par l’UMP.

C’est pourtant lui que François Hollande choisit deux ans plus tard dans sa campagne comme ordonnateur de sa communication. Lui encore qui est préféré au fidèle François Rebsamen pour le ministère de l’intérieur. Et le voilà à tenir l’équilibre. Populaire et controversé. « Si le PS le tape sur la sécurité, nous repartirons dix ans en arrière », s’inquiète Julien Dray. « Ne vous y trompez pas, confie son ami Jean-Jacques Urvoas, la campagne pour les municipales approche. Vous pouvez parier que, lorsque les candidats socialistes voudront faire venir un ministre, il sera le plus demandé. »

http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2013/08/26/la-ligne-valls_3466275_3208.html

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